Ces derniers jours la presse se fait l’écho de la nouvelle idée fabuleusement joyeuse de la société Amazon – Le Safety Fun Game – Un jeu dans lequel les salariés doivent dénoncer leurs collègues qui ne respecteraient pas les règles de sécurité…

Ce n’est pas la première fois que la société Amazon fait parler d’elle au travers de son management « fun ».

La novlangue y est de mise. On ne dénonce pas son collègue qui risque une sanction. On informe la hiérarchie pour “Cumulez les good points à chaque action non safety de la part du général manager, d’un senior ops, d’un lead ou d’un manager”.

A la fin, celui qui aura le plus de good points se verra récompenser.

Au-delà du choc légitime ressenti par les salariés au regard de cette banalisation d’une délation ludique, il est loisible de s’interroger sur la légalité d’un tel système tant dans ses conditions de mise en place que dans sa mise en œuvre concrète.

Les conditions de création du Safety Fun Game

La consultation des Instances Représentatives du Personnel

L’article L.2323-47 du code du travail dispose que « le comité d’entreprise est informé, préalablement à leur utilisation, sur les méthodes ou techniques d’aide au recrutement des candidats à un emploi ainsi que sur toute modification de celles-ci.

Il est aussi informé, préalablement à leur introduction dans l’entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci.

Le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés ».

La mise en œuvre du grand jeu fun d’Amazon constitue en réalité un moyen de contrôle de l’activité des salariés et une consultation du comité d’entreprise apparaît être nécessaire.

A défaut, les données recueillies ne pourront être utilisées régulièrement par Amazon. En outre, une telle absence de consultation pourrait être considérée comme un délit d’entrave en cas de saisine d’une juridiction.

Au-delà même de cette consultation du comité d’entreprise, le jeu d’Amazon modifie les conditions de travail et notamment celles des encadrants qui sont désormais placés sous un contrôle de la part de leur subordonné.

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de juger que la mise en place d’un nouveau système de surveillance des salariés constitue un projet d’ampleur rendant nécessaire la consultation du CHSCT (Cass.Soc., 08.02.2012., RJS 2012., n°354).

L’information des salariés

Les salariés doivent être informés de la mise en place de ce système et de ses conséquences.

En effet, l’article L.1222-4 du code du travail dispose que :

« Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance »

A défaut de respect de cette obligation, le système ne peut être utilement opposé au salarié (Cass.Soc., 3 novembre 2011, 10-18.036).

Dans la situation d’Amazon, l’information des salariés ne fait pas de doute puisque cette dernière a publié des notes de service.

Il est toutefois loisible de s’interroger sur la loyauté (et par conséquent la légalité) du mécanisme mis en œuvre puisque la société, dans sa communication, semble exclure toute sanction du manager dénoncé.

Les risques de la participation au Safety Fun Game

Les conséquences pour le manager dénoncé

La société Amazon indique que, dès lors qu’il s’agit d’un jeu, les dénonciations n’aboutiront à aucune sanction.

Cependant, cette affirmation de la société semble bien vide de substance.

En effet, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité pour l’ensemble des salariés. Il doit tout mettre en œuvre pour préserver la santé de l’ensemble de ses collaborateurs.

Comment admettre alors qu’il ne réagisse pas bien qu’informé d’un problème de sécurité ?

A supposer même le fait bénin, le manager risquerait de se voir sanctionner d’un avertissement.

A supposer même qu’aucune sanction n’intervienne, nul doute que cette alerte figurera au dossier du salarié et pourra être réutilisée par la suite contre lui notamment dans le cadre d’une éventuelle procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle.

Si l’un obtient un goodpoint, ce sera au prix d’une précarisation du contrat de travail du manager dénoncé qui aura lui un badpoint dans son dossier professionnel.

Les conséquences d’une dénonciation erronée

Les inquiétudes vont bien au-delà des seules conditions de mise en place de ce jeu et de ses conséquences sur les rapports entretenus par les salariés entre eux.

Qu’adviendra-t-il du salarié dénonciateur si le manager choisit de le sanctionner ?

Si le code du travail prévoit des protections pour le salarié qui dénonce des agissements anormaux ce n’est que lorsqu’il s’agit d’agissements discriminatoires ou de harcèlement et qu’il les a spécifiés comme tels (Cass.Soc.,13.09.2017., n°15-23.045).

Ainsi, le salarié qui se verra sanctionner injustement par son manager à la suite de sa participation au Safety Fun Game ne pourra pas bénéficier d’une protection particulière.

Pire, en cas de dénonciation erronée, son chef pourra fonder une sanction à son encontre en considérant qu’il s’agit en réalité d’une insubordination délibérée du salarié qui aurait voulu lui nuire ou gagner indûment des Good Points sur son dos.

A force de vouloir gagner des « Good points » un salarié pourra recevoir une « Bad sanction » et il sera ensuite bien en peine de prouver que tout cela a été réellement fait de bonne foi, pour le « fun ».

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Le Safety Fun Game d’Amazon s’analyse finalement en l’organisation d’un système de surveillance des salariés par les salariés et doit être traité comme tel.

Le seul grand vainqueur de ce jeu restera toujours la société Amazon qui obtiendra ainsi de la part même de ses salariés les moyens de sanctionner les autres…

#Balancetonboss chez Amazon #Safetyfungame